L’économie de l’immigration : Le Royaume-Uni c. le Canada et l’Australie
Sommaire exécutif :
- Le Canada et l’Australie connaissent une forte croissance démographique, tandis que les taux de croissance ont considérablement ralenti au Royaume-Uni en raison des frictions post-Brexit.
- La forte croissance démographique permet au Canada et à l’Australie de générer des gains d’emplois plus importants sans provoquer un resserrement des marchés de l’emploi et une forte croissance des salaires.
- Le ralentissement de la croissance démographique au Royaume-Uni contribue à l’étroitesse du marché de l’emploi et à la persistance de niveaux d’inflation élevés.
Le concept de croissance potentielle est très puissant en économie et alimente de nombreux calculs de rendement des catégories d’actifs. Par exemple, il peut servir à déterminer le taux d’intérêt neutre, qui détermine les taux d’intérêt à long terme. En outre, la croissance potentielle peut servir de point d’ancrage pour les hypothèses de croissance à long terme, qui sont prises en compte dans les modèles d’actualisation des flux de trésorerie utilisés sur les marchés boursiers.
La croissance potentielle se compose de deux facteurs : la croissance démographique et la croissance de la productivité. Essentiellement, les perspectives à long terme d’une économie sont déterminées par la croissance du nombre de travailleurs potentiels et par la quantité que chaque travailleur peut produire. La croissance de la productivité est notoirement difficile à prévoir, tandis que la démographie est un peu plus simple, utilisant l’espérance de vie moyenne, les taux de fécondité et l’immigration.
Nous pouvons voir très clairement l’impact de la démographie, et en particulier de l’immigration, en comparant le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie. Le Royaume-Uni est confronté à une grave pénurie de main-d’œuvre et à un problème d’inflation, tandis que le Canada et l’Australie ont pu adopter une politique monétaire légèrement moins agressive, l’immigration ayant soulagé le marché de l’emploi.
Les taux de fécondité dans les pays développés sont bas depuis longtemps
Avant de nous pencher sur les différences en matière de migration, il convient de prendre du recul et d’examiner les tendances démographiques générales dans les trois pays. Le taux de fécondité, c’est-à-dire le nombre de naissances par femme, est un indicateur très important de la croissance démographique à long terme. Pour qu’une population reste constante, un pays doit avoir environ 2,1 naissances par femme (appelé taux de remplacement). Ce taux est légèrement supérieur à 2 en raison de la mortalité infantile (qui a diminué au fil du temps) et du fait que certaines familles ont moins de deux enfants (ce qui a augmenté au fil du temps). Comme le montre le graphique ci-dessous, la plupart de ces pays connaissent depuis un certain temps des taux de fécondité inférieurs à 2,1. Par conséquent, pour que la population continue de croître (ce qui a pour effet de faire croître l’économie), ces pays doivent compter sur la migration.
(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Source : Refinitiv Datastream, Banque mondiale, 12 mai 2023
Le Canada et l’Australie ont connu une croissance démographique rapide
Examinons maintenant les estimations récentes de la croissance démographique pour chacun de ces pays. Alors que les recensements de la population n’ont lieu que tous les deux ans, les agences de statistiques du travail fournissent des estimations de la population chaque mois dans le cadre de leur rapport sur la main-d’œuvre. Le graphique ci-dessous montre l’évolution sur six mois (annualisée) de la population âgée de 15 ans et plus1. Comme vous pouvez le constater, le Canada et l’Australie connaissent une forte augmentation de leur population, le solde migratoire se redressant après avoir chuté pendant la période de la COVID. En comparaison, le Royaume-Uni a connu un ralentissement continu de la croissance démographique, les frictions post-Brexit faisant du Royaume-Uni une destination moins désirable pour les immigrants.
(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Source : Macrobond, 11 juillet 2023
Cette croissance démographique a deux conséquences majeures pour les économies. Tout d’abord, elle stimule la demande et constitue un amortisseur contre la récession. L’une des raisons pour lesquelles l’Australie a pu éviter la récession pendant si longtemps est en partie due à la forte croissance démographique. Le second point, lié au premier, est qu’elle permet à une économie de ne pas se heurter aussi rapidement à des contraintes de capacité. Une économie dont la population augmente plus rapidement peut, toutes choses égales par ailleurs, parvenir à une plus forte croissance de l’emploi sans créer de tensions sur le marché de l’emploi.
Le solde migratoire peut atténuer les pénuries de main-d’œuvre
La Réserve fédérale américaine d’Atlanta (Fed Atlanta) mesure la croissance mensuelle moyenne de l’emploi qui peut être atteinte sans que le taux de chômage ne diminue. Actuellement, cette estimation se situe à 99 000 emplois par mois. Nous pouvons effectuer des calculs similaires pour les autres pays en utilisant des hypothèses similaires. Nous supposons que les taux d’activité restent inchangés, c’est-à-dire que la proportion de personnes en âge de travailler (15 ans et plus) qui travaillent ou recherchent un emploi reste stable. À long terme, il est peu probable que cette hypothèse soit appropriée, car les cohortes plus âgées arrivent à la retraite, mais à plus court terme, elle est satisfaisante. Nous nous basons également sur la croissance démographique des gouvernements respectifs et supposons que la croissance de la population en âge de travailler est égale à la croissance globale de la population (étant donné que l’immigration a tendance à être orientée vers les personnes en âge de travailler).
Le tableau ci-dessous compare les chiffres de la croissance durable de l’emploi dans les différents pays, ramenés à la taille des États-Unis pour faciliter la comparaison2. La forte croissance démographique signifie que le Canada et l’Australie sont en mesure de générer des gains d’emplois plus importants sans pour autant provoquer un resserrement des marchés de l’emploi et de la croissance des salaires.
(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Source : Macrobond, 11 juillet 2023
En effet, nous avons constaté que la croissance des salaires au Canada et en Australie était nettement inférieure à celle des États-Unis ou du Royaume-Uni au cours des 18 derniers mois, période au cours de laquelle le flux migratoire est revenu dans les deux pays.
(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Source : Refinitiv Datastream, 10 juillet 2023
Le Royaume-Uni est dans une situation difficile
Bien sûr, tout n’est pas rose au Canada et en Australie. Cette dernière connaît actuellement des hausses assez importantes des prix des loyers (en partie en raison de cette forte croissance démographique couplée à des pénuries de logements), et les deux pays traversent une période de taux d’intérêt plus élevés avec des niveaux d’endettement des ménages très élevés. Toutefois, ces deux pays sont dans une position beaucoup plus avantageuse que le Royaume-Uni. Après tout, non seulement l’économie britannique souffre d’un marché de l’emploi tendu et d’une inflation persistante, mais, comme nous l’avons noté dans notre Perspectives des marchés mondiaux, elle n’a pas encore dépassé les niveaux d’activité économique d’avant la pandémie.
(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)
Source : Refinitiv Datastream, 10 juillet 2023
En somme
À l’ère post-COVID, la reprise de la migration nette au Canada et en Australie a stimulé la croissance démographique, ce qui a permis d’éviter les pénuries de main-d’œuvre dans ces deux régions. La situation est très différente au Royaume-Uni, où le rythme beaucoup plus lent de la migration nette a contribué à une plus forte croissance des salaires et à un resserrement du marché de l’emploi. En fin de compte, ces différences soulignent le rôle essentiel que l’immigration peut jouer dans la trajectoire de croissance économique d’un pays.
1 Pour le Royaume-Uni, le graphique montre la croissance des 16 ans et plus.
2 Les chiffres réels pour le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni sont respectivement de
24 800, 20 600 et 12 900.




