Le rééquilibrage à travers une période comme celle-ci

Dans le monde entier, les gens se familiarisent avec l’expression aplatir la courbe. Elle est utilisée pour décrire l’objectif visant à répartir le nombre de cas de coronavirus sur une longue période afin de ne pas manquer de lits d’hôpitaux et de ne pas surcharger notre système de santé. Pour contrecarrer la contagion, les gouvernements imposent, à juste titre, des limites aux rassemblements sociaux, à l’achalandage dans les restaurants et à la participation à d’autres événements. Bien entendu, ces restrictions pèsent sur l’économie, car l’aplatissement de la courbe s’accompagne de mesures qui empêchent les consommateurs de dépenser normalement, suscitant en retour une volatilité des actions.

Combien de temps la consommation sera-t-elle en suspens? Rien n’est certain. Pour lutter contre les difficultés économiques engendrées par le virus, les gouvernements ont mis en place des plans de relance de la même envergure que ceux adoptés en temps de guerre afin de venir en aide aux travailleurs déplacés et aux entreprises. En fait, les plans de relance sont suffisamment conséquents pour que certains économistes commencent déjà à envisager l’éventualité d’une inflation une fois que l’économie aura retrouvé son équilibre. L’incertitude est bel et bien là.

Il est probable que les fortes baisses inscrites en mars aient entraîné une déviation de la répartition des actifs de vos clients par rapport à leur politique de placement en faveur de placements plus prudents. Prenons l’exemple d’un portefeuille équilibré simple composé à 60 % de placements dans l’indice MSCI Monde, représentant les actions internationales, et à 40 % de placements dans l’indice Bloomberg Canada Aggregate, représentant les obligations canadiennes. Entre le 31 décembre 2019 et le 23 mars 2020, alors que le marché était à son plus bas niveau depuis le début de l’année, l’indice MSCI Monde a chuté de 23 % alors que l’indice Bloomberg Canada Aggregate a progressé de 2 %. Un portefeuille équilibré qui était conforme à sa politique à la fin de 2019, et qui aurait dévié depuis, aurait eu une répartition de 53 % dans l’indice MSCI Monde et de 47 % dans l’indice Bloomberg Canada Aggregate au 31 mars 2020. Bien que les marchés se soient quelque peu redressés depuis, le portefeuille n’est probablement toujours pas équilibré en fonction des pondérations initialement prévues dans la politique de placement. Ce portefeuille doit-il être rééquilibré en fonction des cibles établies et quelles sont les implications du rééquilibrage sur les rendements?

Un texte classique de Perold et Sharpe rédigé en 19881 discute de l’incidence de trois grandes stratégies de rééquilibrage, à savoir acheter et conserver, rééquilibrer en fonction de pondérations fixes et maintenir une proportion constante d’assurance de portefeuille. L’un des points intéressants soulevés par Perold et Sharpe est que dans les marchés tendanciels (à la hausse ou à la baisse), la méthode qui consiste à acheter et conserver des titres surpasse le rééquilibrage effectué en fonction de pondérations fixes. Pendant les marchés baissiers comme ceux que nous avons traversés récemment, le fait de ne pas rééquilibrer crée un seuil. Celui-ci établit dans quelle mesure le portefeuille peut baisser et correspond à la valeur des actifs non risqués du portefeuille. Si le portefeuille est rééquilibré, qu’une plus grande partie de l’actif est investie dans des actions et que les marchés continuent de baisser, le portefeuille rééquilibré sera moins performant que le portefeuille qui n’a pas été rééquilibré.

Toutefois, nous devons garder à l’esprit que les marchés n’avancent pas indéfiniment dans le même sens. Historiquement, le rééquilibrage selon des pondérations fixes entraîne des ventes d’actions et des achats d’obligations. C’est pourquoi votre portefeuille a probablement moins baissé aujourd’hui que s’il n’avait jamais été rééquilibré au cours des dix dernières années. Il faut également garder à l’esprit que les actions surclassent les obligations d’après leurs antécédents, les actions ayant inscrit certains de leurs meilleurs rendements après les grands replis boursiers
 

Dans ce contexte, quelle est la bonne décision en matière de rééquilibrage?

Tout d’abord, nous vous recommandons d’examiner la situation de votre client. Si votre client ne peut pas se permettre de perdre plus d’argent parce que la situation s’est dégradée, il est temps de revoir sa politique stratégique et de l’aligner sur la capacité et la tolérance au risque du client. Ce faisant, il faut se méfier de l’évolution des tolérances au risque, soit la tendance de l’investisseur à devenir plus réticent au risque lorsque les marchés sont défavorables. Le glissement des tolérances au risque qui se produit naturellement dans les bons et les mauvais marchés peut inciter les investisseurs à acheter à un prix élevé et à vendre à un prix bas.

Deuxièmement, si la politique de votre client est juste, il faut alors considérer cette politique comme le point de départ de la prochaine décision, ci-dessous. La plupart des investisseurs établissent leur répartition en répondant à un questionnaire sur la tolérance au risque qui s’inscrit dans une stratégie de répartition constante, c’est-à-dire une stratégie qui implique un rééquilibrage vers des pondérations fixes à intervalles réguliers. En fait, les stratégies de répartition constante sont si courantes que beaucoup de gens les confondent avec les politiques stratégiques. Laisser le portefeuille d’un client trop s’éloigner de la répartition prévue dans la politique, c’est rompre le lien entre sa tolérance au risque et la répartition stratégique des actifs.

Troisièmement, évaluez vos hypothèses sur les marchés financiers au cours des trois à six prochains mois. Si votre point de vue est plus pessimiste que les hypothèses sur lesquelles votre politique stratégique est fondée, vous pourriez envisager de réduire tactiquement les risques. Si vos hypothèses concernant le marché financier sont plus favorables que celles sur lesquelles votre politique stratégique est fondée, vous pourriez envisager d’augmenter tactiquement le risque par rapport à la politique stratégique. Si vous n’avez pas une vision claire des perspectives à court terme concernant les hypothèses stratégiques du marché financier qui ont servi de base à votre politique, alors le rééquilibrage vers une politique conforme à la tolérance au risque de votre client est la bonne décision. 

Si la notion de rééquilibrage est simple, certaines nuances permettent de déterminer le moment et la façon de procéder à un rééquilibrage. L’approche la plus simple consiste à rééquilibrer le portefeuille à une date précise de l’année ou à la fin de chaque mois ou de chaque trimestre. L’inconvénient de cette approche est que le portefeuille peut dévier excessivement de la politique avant la date du rééquilibrage. Une autre approche consiste à utiliser le rééquilibrage par plage, c’est-à-dire à comparer régulièrement la répartition actuelle par rapport à la répartition de la politique afin de s’assurer que le portefeuille ne s’éloigne pas trop de la politique et du niveau de risque cible du client. Une pratique courante consiste à fixer une plage de fluctuation des catégories d’actifs et à les rééquilibrer lorsqu’elles sont en dehors de cette plage.

Lors du choix d’une stratégie de rééquilibrage, il est également important de tenir compte des coûts des opérations, des impôts ou des restrictions de négociation. En période de volatilité des marchés, le coût des opérations est élevé. Les investisseurs doivent éviter les rééquilibrages fréquents qui entraînent des coûts d’opération élevés et fréquents. Il faut trouver un équilibre entre le maintien du portefeuille dans la bonne plage de risque et le coût de cette opération.

Résultat

Les marchés sont volatils parce qu’il existe un degré élevé d’incertitude concernant l’orientation de l’économie à court terme, les mesures de relance fédérales, la réaction des consommateurs et l’évolution de l’épidémie. Même les experts ont du mal à établir des prévisions claires. Si vous n’avez pas rééquilibré les portefeuilles de vos clients depuis un certain temps, il y a de fortes chances qu’ils aient dévié de leur politique. Laisser les portefeuilles en l’état, tel qu’ils ont dérivé, est aussi une décision. La décision de rééquilibrer le portefeuille doit être prise. Les marchés peuvent encore reculer. Cependant, il est probable que dans quelques années, les marchés des actions soient orientés à la hausse. Assurez-vous d’envisager les options qui conviennent le mieux à la situation du client.


1https://www.stanford.edu/