Croissance ou valeur : Se préparer pour le grand virage

C'est pour bientôt. Est–ce que le moment est arrivé? Peut–être. Ou peut–être pas. Mais il arrivera tôt ou tard. Se préparer dès maintenant à cette éventualité semble la démarche la plus prudente.

Les marchés d'investissement ont des caractéristiques communes avec les tremblements de terre. La pression monte à mesure que les forces se déséquilibrent. Il faut espérer que progressivement, et parfois très soudainement, ces forces retrouvent un état plus stable et que le processus recommence.

La sismologie et l'investissement partagent les mêmes objectifs, à savoir tenter de prévoir des points de rupture très imprévisibles, conduisant à la libération des déséquilibres accumulés. Pour les tremblements de terre et les investissements, de longues périodes de pression croissante sont susceptibles d'avoir des conséquences catastrophiques, car le rééquilibrage soudain des forces sous–jacentes marque la fin d'un cycle et le début d'un nouveau. Les pressions, ou les déséquilibres, semblent évidents, mais les tendances persistent néanmoins. Jusqu'au point de rupture. Les investisseurs, tout comme les propriétaires d'un logement qui envisagent de souscrire une assurance contre les tremblements de terre, ont tout intérêt à se préparer à ces inévitabilités, même si la prévisibilité est limitée.

Pression croissante pour la récupération des titres de valeur

Ces dernières années, les investisseurs axés sur la valeur ont attendu (encore et encore) l'arrivée de l'inévitable grand événement qui les récompensera enfin.  Ils ont vu leurs homologues en pleine croissance, les bâtisseurs métaphoriques de manoirs sur les lignes de faille côtières, profiter d'une manne surprenante. Si une reprise des titres de valeur semble probable du fait de son occurrence répétée tout au long de l'histoire des marchés, beaucoup ont l'impression que nous attendons quelque chose qui pourrait ne jamais se produire. En revanche, le rendement récent des titres de croissance peut être qualifié de tsunami, une force implacable, apparemment incontrôlable, issue d'un ensemble de circonstances qui lui sont propres et qui ont abouti à son propregrand événement. 

Les titres de croissance, représentés par l'indice de croissance S&P 500®, ont gagné près de 35 % en 2020 en rendement total. Les titres de valeur, en revanche, on fait du surplace, enregistrant un maigre gain de 3,3 %.

Investir comme en 1999

Ces tendances ont peu de chances de se maintenir. Les déséquilibres approchent des niveaux sans précédent par rapport aux périodes historiques les plus longues du marché boursier. Tout comme les tremblements de terre, la période entre ces changements perturbateurs sur le marché boursier peut être assez longue. Beaucoup d'intervenants actifs dans le secteur des investissements en 1999 perçoivent des similitudes dans le ton et la teneur de cette période de l'histoire boursière par rapport à ce que nous vivons aujourd'hui. De nouvelles technologies révolutionnaires arrivent sur le marché alors qu'un grand nombre de sociétés plus anciennes semblent sur le déclin. L'enthousiasme suscité par ces merveilles technologiques entraîne des évaluations spéculatives et visiblement irrationnelles qui reposent sur des attentes prises en compte dans le prix de l'action qui ne se matérialiseront généralement jamais.

Prenons un exemple : Tesla, l'un des héros de cette croissance phénoménale, a vu son action augmenter de 960 % sur la même période. Tesla, incontestablement une société captivante, dirigée par le charismatique et sans doute brillant visionnaire Elon Musk, fascine le public, ce qui a permis à la marque de devenir l'une des plus grandes sociétés au monde en termes de valeur boursière. Si les véhicules électriques de Tesla sont considérés comme quelque peu révolutionnaires, ses rivaux ont commencé à offrir eux–mêmes des substituts impressionnants. Une nouvelle réalité concurrentielle se profile à l'horizon. De plus, il demeure que Tesla est une société rentable non pas par la vente de ses véhicules, mais principalement par le bénéfice de ses crédits d'émission qu'elle vend à des entreprises automobiles d'ancienne génération, essentiellement pour qu'elles aient le droit de polluer

Il faut observer les faits de plus près

Certes, beaucoup d'actions de la catégorie valeur font figure de dinosaures dans un monde en pleine mutation technologique. Tout particulièrement lorsque l'adoption et la nécessité de ces changements technologiques ont été accélérées par les mesures de confinement liées à la pandémie de COVID–19. Les services financiers et les sociétés du secteur de l'énergie, les deux secteurs les plus dominants dans les indices de valeur, sont apparus comme un danger insensé. Peu de gens spéculent sur la disparition complète des sociétés financières, même si beaucoup pensent que le potentiel de gains de nombre d'entre elles pourrait être compromis de façon permanente par des taux d'intérêt chroniquement bas et par une colère refoulée pour les méfaits du passé, comme la crise financière de la période de 2007 à 2009. D'autres voient un avenir prometteur pour les banques, les sociétés d'assurance et les autres fournisseurs de services financiers bien gérés. Cette promesse d'avenir est fondée sur une demande croissante, sur des avancées technologiques propres, comme Venmo, et sur un climat économique plus stable après la COVID.

Par contre, nombreux sont ceux qui pensent qu'un monde sans combustibles fossiles est à portée de main. Ils considèrent que les sociétés qui extraient et et distribuent des combustibles fossiles sont en déclin constant. La vérité est pourtant moins évidente. Si Investissements Russell met fortement l'accent sur l'investissement selon les facteurs ESG, nous reconnaissons également que certains spécialistes estiment que les véhicules électriques ont un impact environnemental et social plus lourd que les véhicules modernes à combustion interne. Lorsque l'on considère l'énorme bilan environnemental et social de l'extraction et de l'élimination du lithium, le cas de l'énergie propre pour les véhicules électriques devient un peu confus. En outre, certains des plus grands producteurs d'énergie verte sont des sociétés connues pour leurs marques de combustibles fossiles. Ces sociétés demeurent un élément essentiel d'un monde viable et les aspects économiques de leur production d'énergie semblent bien plus sûrs que les cours actuels des actions des sociétés énergétiques ne l'indiquent.

Beaucoup d'investisseurs boursiers, professionnels ou amateurs, ont perdu patience avec les titres de valeur. Les nouvelles qui circulent alimentent cette impatience. Cette perte de confiance n'est pas nouvelle pour les intervenants des marchés d'investissement. Nous avons été témoins de périodes similaires de fanatisme et de perte de confiance à de nombreuses reprises dans le passé. La bulle Internet de 1998-2000 mentionnée ci–dessus est le précédent le plus récent pour la plupart, mais les actions japonaises de la fin des années 80 (qui à l'époque ne prenait pas de cours de japonais, ou du moins songeait à le faire?) sont un autre souvenir un peu plus lointain. Certains vétérans du secteur se souviennent encore des « Nifty Fifty » de la fin des années 1960 et du début des années 1970 et de leurs conséquences désastreuses pour les gestionnaires de placements et leurs clients. L'histoire ne se répète pas forcément, mais on peut y voir des similitudes.

Les chances d'une issue différente sont moindres. Et cette période touchera, elle aussi, à sa fin.

En tant que professionnels de la finance, nous ne sommes pas autorisés, en vertu du droit réglementaire et des principes de l'éthique professionnelle, à garantir les résultats des placements. Toutefois, nous estimons qu'il est tout à fait probable que de meilleures tendances se profilent à l'horizon pour les titres de valeur. Une fois de plus, l'analogie avec les tremblements de terre semble appropriée : Nous savons que cela va arriver. Nous ferions bien d'être préparés. Cela n'arrivera peut–être pas demain. Mais c'est possible.

Le marché boursier est un reflet dynamique des conditions cycliques, de l'évaluation des valeurs par les individus et des attitudes des personnes. Les tendances récentes sont excellentes. Après une baisse assez effrayante du prix des actions en début d'année, les actions ont grimpé dans la foulée de signes encourageants indiquant que le pire était probablement derrière nous. On pourra dire ce que l'on veut de 2020, mais les investisseurs en bourse ont bien tiré leur épingle du jeu. Les actions américaines ont grimpé de près de 15 %.Les actions non américaines sont à la traîne, mais ont tout de même progressé de près de 6 %.2 Bien que les titres de valeur aient accusé un certain retard en 2020, des signes encourageants sont apparus pour les investisseurs de cette catégorie, puisque les titres de valeur ont mené le bal au cours du dernier trimestre de l'année. Il ne sera peut–être pas nécessaire de subir une douloureuse correction du marché et son tsunami de réactions en chaîne pour que les adeptes patients de titres de valeur soient récompensés.


1 Source: Indice SP&P 500®, au 10 décembre 2020
2 Source : Indice MSCI ACWI ex–U.S. au 10 décembre 2020.